Des habitudes sexuelles déviantes?

Des habitudes sexuelles déviantes?

Bonjours Paris : J'ai rencontré le professeur Christian Joyal, sur le plateau télé d'une émission sur les fantasmes. Il m'a parlé de sa recherche sur les fantasmes inhabituels, What Exactly Is an Unusual Fantasy, publiée en octobre 2014.

Très intéressante, sa recherche montre que plusieurs fantasmes sont plus courants que nous le croyions. Plus de la moitié des femmes auraient des fantasmes de soumission, de relations sexuelles contraintes ou forcées. Ces fantasmes, même s'ils ne veulent pas être vécus réellement, révèlent tout de même un imaginaire sexuel qui ne se conforme pas à une idée de prince charmant doux et aimant.

UNE ANORMALITÉ PLUS MORALE QUE SEXUELLE?

Même si certains fantasmes sont finalement assez répandus, comme Christian Joyal l'a découvert, la bible de la psychiatrie, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux confine ces fantasmes à des déviances, dans sa version la plus récente (le DSM-V).

Le DSM-V veut-il jouer un rôle moral dans les habitudes sexuelles des gens? Est-ce que tout ceux qui rêvent d'être obligés de lécher les pieds d'un autre être humain devraient avoir recours à des médicaments ou des traitements?

TROUBLES MENTAUX, SEXE ORAL ET BDSM

J'ai posé quelques questions au chercheur et professeur, afin de mieux comprendre ce que ça signifiait, la normalité et l'anormalité aux niveaux des fantasmes sexuels.

Question: Selon le DSM-V, si je comprends bien, certains actes sexuels sont vus comme contraires à une bonne santé mentale s'ils ne sont pas propices à la copulation?

Christian Joyal: «En fait, le DSM souligne que certains comportements sexuels sont des manifestations de troubles mentaux. Mais si les critères de troubles mentaux ne sont pas rencontrés (la personne ne ressent pas de désarroi ou de détresse, ou encore le geste n'est pas criminel), ces comportements sont considérés comme paraphiliques, c'est-à-dire anormaux, selon le DSM. Le problème, c'est que le manuel ne révèle pas sur quoi il se base pour qualifier d'anormaux ces comportements. Parmi ceux-ci, on trouve le fétichisme, la domination (appelée à tort sadisme), la soumission (appelée à tort masochisme) et le transvestisme. Comme ces comportements ne sont pas illégaux, il s'agit maintenant de voir s'ils sont rares. Et comme le DSM stipule que des fantasmes seulement, SANS comportement, peuvent aussi être des déviances, on a mené un sondage. Comme tu le sais, on a démontré que la soumission et la domination sont des fantasmes très courants, rapportés par environ la moitié de la population, tant hommes que femmes.»

Q: Qu'est-ce que cela indique, selon vous, que des actes soient jugés anormaux?

CJ: «Cela suggère que la définition de normalité sexuelle est intimement associée à l'époque et la culture. En 1950 le sexe oral était illégal aux États-Unis, en 1970, l'homosexualité était considérée comme un trouble mental (encore illégale dans plusieurs pays) et aujourd'hui, les adeptes du BDSM doivent à leur tour se battre pour faire sortir ces comportements des manuels diagnostiques de troubles mentaux.»

Q: Quels actes devraient obligatoirement être vus comme déviants, selon vous, et pourquoi?

CJ: «Tout acte hors du coït qui doit absolument être fait pour atteindre l'orgasme est pathologique car la personne en dépend. Ainsi, faire des jeux de rôle, se déguiser, etc, n'est pas problématique tant qu'on n'en dépend pas absolument. Par ailleurs, tout acte illégal, qui implique le non consentement d'une personne (pédophilie, bestialité, frotteurisme, voyeurisme, nécrophilie, exhibitionnisme, viol...) doit être considéré déviant.»

Q: Qu'est-ce qui vous surprend le plus dans le champ d'études des comportements sexuels?

CJ: «La diversité et l'omniprésence des continuums. Par pour rien qu'on dit50 nuances de Grey; les choix sont rarement tout blanc ou tout noir, mais la grande majorité des intérêts et des actes sexuels des gens se situent sur un continuum entre les deux extrêmes. D'ailleurs, c'est pareil pour la personnalité et la santé mentale; il ne s'agit pas vraiment de cases ou catégories, mais bien de continuums.»

Les travaux de Christian Joyal ont démontré que la soumission et la domination n'étaient pas des fantasmes rares. Ce qui reste inhabituel sont les fantasmes reliés à l'urine.

Aussi, moins de 15,9 % des femmes sont excitées à l'idée d'avoir une relation sexuelle avec une personne en état d'ébriété ou inconsciente, ou avec une femme qui a de très petits seins. Pour les hommes, ce qui est inhabituel est le désir de faire l'amour avec deux hommes ou plus.

De quoi donner des idées pour paresser au lit ou l'envie de manifester contre un ouvrage de référence qui se montre encore une fois réactionnaire, jugeant déviant ceux qui préfèrent s'imaginer fouettés plutôt qu'allongés dans un lit de roses?